Dans un entretien à AEF info, Thomas Fatôme, directeur général de la Cnam, revient sur l’avenant à la convention d’objectifs et de gestion (COG) 2017-2022 négocié par l’Assurance maladie et voté la semaine dernière par le conseil de la Cnam. Et se félicite des moyens supplémentaires « importants » accordés par la tutelle pour permettre à l’assurance maladie d’assurer ses différentes missions dans le cadre de la crise sanitaire, notamment le « contact tracing ». Des moyens qui pourront être adaptés selon l’évolution de la situation épidémique grâce à un système de « clauses de revoyure ».
Malgré la crise, Thomas Fatôme explique travailler à améliorer les indicateurs sur les objectifs fixés par la COG, comme les réponses apportées aux assurés par mails ou par téléphone ou encore la réduction du délai de règlement des indemnités journalières non subrogées.

AEF info : Le réseau de l’assurance maladie a été fortement mobilisé pour mettre en œuvre la stratégie « Tester, alerter, protéger ». Vous disiez fin novembre devant l’Ajis travailler à l’élaboration d’un bilan. Où en êtes-vous et quand allez-vous le présenter au conseil de la Cnam ?

Thomas Fatôme : Plutôt qu’un bilan « figé » à une date donnée, nous faisons régulièrement des points de situation sur le « Tester-Alerter-Protéger » à la fois vis-à-vis du conseil de la Cnam et avec le réseau de l’assurance maladie. Depuis la deuxième vague, nous mettons en œuvre et partageons l’évolution de ces dispositifs. Le bilan chiffré fait apparaître que, depuis un an, l’assurance maladie a appelé dans le cadre du contact tracing plus de 15 millions de personnes, à savoir 5 millions de personnes positives et 10 millions de cas contact.
Cette activité a conduit à une mobilisation très significative et un redéploiement important d’activité dès après le premier confinement ; des recrutements supplémentaires ont été opérés à l’automne 2020 et nous disposons maintenant de cet avenant à la COG qui donne un cadre clair pour 2021 et 2022. Il attribue des moyens au contact tracing et permet à l’assurance maladie d’exercer pleinement ses autres missions.

AEF info : Un nombre très important de collaborateurs de l’assurance maladie ont été redéployés pour participer à ces nouvelles missions?

Thomas Fatôme : Ce nombre a varié selon les périodes. Au tout début du contact tracing, ce sont essentiellement des salariés volontaires ont été redéployés à partir de la mi-mai 2020. Petit à petit, à compter des mois de juillet et août, on a recruté des CDD jusqu’à monter à 4 000 CDD à l’automne, avec un redéploiement d’effectifs de l’Assurance maladie qui a atteint pendant la deuxième vague jusqu’à plus de 8 000 ETP. Au plus haut de la deuxième vague, à la fin du mois d’octobre, 12 000 salariés étaient mobilisés : 4 000 CDD recrutés depuis juillet et plus de 8 000 ETP redéployés.
Finalement, le retour sur expérience nous a amenés à chercher un équilibre différent en 2021 et 2022, avec beaucoup plus de ressources propres sur le contact tracing, grâce à des CDD et des CDI qui ont été recrutés en début d’année, et qui sont prévus dans la COG ; et une mobilisation beaucoup moins forte des « CDI historiques » de l’Assurance Maladie, qui s’adapte toutefois au rythme de l’épidémie. Cette mobilisation était à nouveau importante au mois d’avril et, elle tend aujourd’hui à reculer parce que nous disposons maintenant d’un apport de 7 000 ETP pour le contact tracing, grâce aux CDD et CDI recrutés entre fin 2020 et début 2021. Depuis le premier trimestre, la force de frappe se situe à 10 000 équivalents temps plein mobilisés, dont 7 000 recrutements et 3 000 effectifs redéployés. Ce chiffre-là peut être amené à évoluer, à la hausse comme à la baisse, en fonction de l’intensité de la circulation de l’épidémie.

AEF info : Cela signifie que vous essayez de concilier les missions classiques vis-à-vis des assurés et les missions nouvelles liées à la crise…

Thomas Fatôme : Je dirais qu’on fait mieux qu’essayer ! Depuis le début de la crise, notre préoccupation constante est de maintenir nos activités socles. Et que ce soit sur la liquidation des arrêts de travail ou l’ouverture des droits à la complémentaire santé solidaire, bien que nous ayons à faire face à des volumes importants, notamment sur les arrêts de travail, nous tenons nos indicateurs. Nous ouvrons par exemple des droits à la Complémentaire santé solidaire dans des délais meilleurs que ceux prévus par la COG. Et s’agissant des arrêts de travail, nous sommes – selon les semaines – juste au-dessus ou juste en dessous des objectifs cibles de la COG. Donc, nous n’avons pas sacrifié nos missions traditionnelles à l’exercice du contact tracing ou à la mise en œuvre d’autres missions.

AEF info : Il y a pourtant un certain nombre d’organisations représentées au conseil qui se sont inquiétées des difficultés des assurés en termes de réponses aux mails, au téléphone, et sur la hausse du délai de paiement des indemnités journalières non subrogées…

Thomas Fatôme : Sur les indemnités journalières, nous sommes dans le respect des engagements pris dans le cadre de la COG. Sachant que, nous faisons face à des situations complexes d’arrêts de travail avec de multiples employeurs, des dossiers dans lesquels les délais de liquidation peuvent être potentiellement supérieurs à la moyenne – je pense à la situation des salariés employés à domicile pour lesquels la liquidation des IJ est particulièrement compliquée. Mais ce n’est pas lié à la crise. Nous y travaillons d’arrache-pied, y compris avec nos collègues de l’Acoss. Non seulement, nous tenons nos engagements mais nous essayons de continuer à améliorer nos modes de gestion opérationnels sur ces sujets-là. Il est clair que pour ce qui est du téléphone et du mail, certaines semaines sont tendues, notamment parce que les volumes sont très fortement supérieurs à ceux que nous avons connus avant la crise, parfois supérieurs de 50 à 100 % par rapport à des volumes traditionnels. Mais nous restons là aussi très proches de nos objectifs.

AEF info : Vous avez obtenu des moyens supplémentaires du gouvernement, à travers cet avenant à la COG, pour 2021 et 2002. Ceux-ci vous paraissent-ils suffisants à ce stade ?

Thomas Fatôme : Ils sont très importants. Dans l’histoire récente des organismes de sécurité sociale, avoir un avenant à une COG qui se traduit par 5 800 CDD et près de 1 200 CDI, c’est tout à fait exceptionnel ! Ces renforts sont calibrés pour constituer cette force de frappe sur le tracing et pour qu’elle puisse être maintenue dans la durée. Est également prévu un système de clauses de revoyure qui permettra de voir si l’on a toujours besoin de ces moyens en fonction de la situation épidémique.
Avec les services de l’État, nous avons voulu mettre en place un système assez souple. L’épidémie nous a appris à être agiles et réactifs. En cas de dégradation rapide ou d’amélioration très significative de la situation, nous serions amenés à adapter les choses. Les points de rendez-vous prévus, au dernier trimestre 2021 et deux rendez-vous en 2022, sont plutôt bien positionnés. Même dans une période marquée par une grande incertitude, ces moyens permettent aux caisses et au réseau de planifier à la fois les missions de crise et les missions traditionnelles.

AEF info : Vous tiendrez le conseil informé de chaque étape d’avancement de la mise en œuvre de cet avenant ?

Thomas Fatôme : Le conseil a souhaité qu’il y ait un comité de suivi de la COG. C’est notamment dans ce cadre-là que le suivi de cet avenant pourra s’opérer. Et par ailleurs, je rends compte au conseil chaque mois de l’état d’avancement du dispositif, de la vaccination, et ce qui concerne la mobilisation de l’assurance maladie.

AEF info : S’agissant des recrutements en CDD, quelles étaient les qualifications exigées pour ces personnes en contact avec les assurés ?

Thomas Fatôme : Il s’agit d’une opération de ressources humaines extrêmement lourde car on n’embauche pas près de 6 000 personnes sans que cela représente un effort considérable de la part des services RH des caisses. Nous avons noué un partenariat cadre, fructueux d’ailleurs, avec Pôle emploi, que le réseau a ensuite mobilisé selon ses besoins. Nous avons accompagné les caisses par la diffusion de contrats type, de profils RH, et sur le volet formation. Pour les opérations de recrutement proprement dites, nous avons laissé la main aux caisses qui savent mener de telles opérations et identifier des ressources.
La moyenne d’âge des recrutés est plutôt jeune. Ce n’était pas un critère de recrutement évidemment même si cela répondait aussi à notre mobilisation autour du programme de recrutement « Un jeune, une solution ». Nous avons constaté un enthousiasme important des personnes recrutées sur une mission à fort enjeu si elle est exigeante au quotidien. Il faut à la fois être concentré, faire preuve d’empathie mais aussi appréhender les différents modes opératoires du tracing qui ont évolué mois après mois. Pour certaines personnes, c’était l’occasion d’un premier contact avec l’Assurance maladie. Sur un réseau de 65 000 personnes, avec un turn-over et des départs en retraite, cela peut-être une porte d’entrée dans les organismes d’Assurance maladie pour des recrutements futurs et des CDI à la clé dans certaines situations.

AEF info : Selon l’avenant, vous aurez néanmoins 300 postes à rendre d’ici la fin 2022. Était-ce vraiment nécessaire de les rendre ? Cela faisait partie du deal avec les pouvoirs publics pour obtenir des moyens supplémentaires ?

Thomas Fatôme : Une COG ou un avenant, c’est toujours un contrat signé entre deux parties. C’est un équilibre à trouver entre elles. Cela donne aussi de la visibilité pour le réseau d’ici la fin de l’année 2022.